Toute la philosophie des choses humaines, c'est-à-dire l'éthique et la politique, dépend de la distinction, dans les actions humaines, entre deux ordres d'activité: 1) la poïèsis, qui est la production, ou la fabrication, d'une œuvre ou d'un ouvrage, c'est-à-dire d'un produit extérieur à l'agent qui le produit comme à l'activité de le produire; 2) l'activité pratique à proprement parler, la praxis, qui est l'action, en elle-même sensée, et qui est à elle-même sa propre fin, c'est-à-dire l'activité qui coïncide avec l'accomplissement même de celui qui agit. Si toute action humaine est faite en vue de quelque bien – notamment en vue du bonheur –, il y a seulement difficulté à se mettre d'accord sur ce en quoi consiste le bonheur et sur ce qu'est le souverain bien. Si les activités qui relèvent des arts et des techniques (de la poïèsis) visent à un bien, elles supposent quelque art architectonique qui les organise et se les subordonne en fonction de l'utilité de la communauté: cet art n'est autre que la politique. Celle-ci se donne pour fin de produire la constitution (politeïa) de la cité (polis). La cité est une communauté politique, non pas seulement économique. Elle ne se réduit pas à la communauté du vivre et de la satisfaction des besoins sociaux; elle est la communauté du bien-vivre, qui se donne pour fin pratique la seule vie qui vaille d'être vécue pour les humains: la vie heureuse – c'est-à-dire vertueuse et juste – d'êtres libres et raisonnables. La Politique d'Aristote étudie ainsi les différentes formes de gouvernement qui se rencontrent dans l'histoire des cités, pour déterminer celles qui conviennent le mieux à la nature humaine, ainsi que la manière dont leurs Constitutions (la monarchie, l'aristocratie, la république en étant les trois principales formes) se conservent ou s'altèrent (ces altérations étant, respectivement, la tyrannie, l'oligarchie et la démocratie).
Les vertus morales C'est l'analyse de la praxis proprement humaine («L'homme n'est, dit Aristote, ni une bête ni un dieu») qui est le fil conducteur de l'éthique aristotélicienne. Soucieux de rendre à la morale le sens des situations concrètes et des conditions diverses de la vie humaine, Aristote analyse dans son chef-d'œuvre, l'Éthique à Nicomaque, les multiples affections, dispositions, caractères et habitudes sur fond de quoi viennent prendre sens les différentes vertus, tant intellectuelles que morales. Chacune des vertus est une excellence consistant dans la «médiété», c'est-à-dire la juste mesure entre un excès et un défaut. Celle d'entre elles qui donne le ton et la mesure à toutes les autres dans les circonstances concrètes de la vie, c'est la sagesse pratique de l'homme raisonnable: la phronèsis, ou prudence (du latin prudentia). Conformément à cette sagesse concrète, l'action humaine atteint à la perfection qui lui est propre (son entéléchie): elle devient l'activité humaine par excellence, celle dans laquelle l'homme épanouit ses diverses potentialités. L'actualisation équilibrée de ses facultés se voit couronnée par le plaisir qui vient s'ajouter comme par surcroît à l'activité parfaitement accomplie. Celle-ci peut, chez certains, être portée à son comble dans la vie contemplative, lorsque le sage donne figure humaine à «la pensée de la pensée». Cette éthique de la juste mesure n'est pas une morale de la médiocrité. Elle affirme que le bonheur est l'équilibre harmonieux et humainement accessible de toutes les fonctions de l'âme et du corps, au sein d'une cité juste et dans des circonstances où puissent régner liberté, bien-être et amitié.
La poétique Les arts, qui s'opposent à l'art de la vie et à la science, font l'objet du traité de la Poétique, où ils sont définis comme des activités ayant pour but l'imitation (mimesis) des caractères, des passions et des actions. Selon qu'ils les imitent par les couleurs et les formes ou par la voix et le son, ils sont classés d'un côté dans les arts plastiques et, de l'autre, dans la poésie. Entendue dans ce sens spécial, la poésie utilise trois moyens d'expression: le rythme, le langage et l'air. Chacun d'eux ainsi que leurs combinaisons désignent les différents arts poétiques, qui sont au nombre de cinq: la danse (rythme); l'imitation en prose, notamment les mimes et les dialogues socratiques (langage); les élégies et la poésie épique (rythme et langage); la musique instrumentale (rythme, air); la poésie lyrique, la tragédie et la comédie (rythme, langage, air). Du fait que, selon Aristote, l'art n'imite pas le monde sensible, comme chez Platon, mais le monde de l'esprit humain, la musique, qui suscite le plus directement des émotions, représente le plus haut degré de la mimesis.
L'esthétique aristotélicienne L'imitation n'est donc pas synonyme de la reproduction. Dans le processus mental par lequel on finit par reconnaître ce que représente l'œuvre d'art, elle procure du plaisir, accompagné de la joie sensuelle due à la perception des couleurs, des mélodies et du rythme. En fait, toute création artistique tend à la beauté. La cause finale de la tragédie, qui est au centre de l'esthétique aristotélicienne, est de purger les sentiments de pitié et de crainte suscités par le dramaturge. Par la purgation (katharsis) des émotions, la tragédie ne rend pas les spectateurs plus émotifs qu'ils ne l'étaient, comme le prétendait Platon, mais elle leur apporte un certain soulagement. Loin d'être un simple divertissement, elle délivre le spectateur de la pitié et de la crainte qu'il éprouve à l'instar des héros de la tragédie. Cette théorie esthétique, qui inspira le plus de commentaires de ses successeurs et qui joua un rôle capital dans la constitution du classicisme français, s'inscrit intégralement dans la philosophie d'Aristote: celle-ci reste l'un des modèles les plus accomplis d'une pensée qui allie le sens des problèmes les plus profonds de la métaphysique, de la philosophie de la nature et de la théorie de la connaissance, au sens le plus délicat de la mesure de ce qui est humain.
1 -[Aristote]
2 -[Aristote : La logique aristotélicienne]
3 -[Aristote : Métaphysique aristotélicienne]
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