Arthur Schopenhauer est le plus typique représentant du pessimisme métaphysique. Issu d'une famille de riches banquiers, ayant suivi les cours de Fichte et du sceptique Schulze, Schopenhauer obtient son doctorat à Iéna en 1814, avec une thèse intitulée Quadruple Racine du principe de raison suffisante.
Après la publication de son ouvrage principal en 1818, le Monde comme volonté et comme représentation (lequel ne connaîtra une audience conséquente qu'à sa réédition en 1847), Schopenhauer est chargé de cours à l'université de Berlin en 1819, mais il n'obtient pas de chaire. À partir de 1833, il se retire à Francfort-sur-le-Main où il rédige les Deux Problèmes fondamentaux de l'éthique (1841), Parerga et Paralipomena (1851). À soixante-cinq ans, il devient célèbre, le public retenant de sa philosophie son pessimisme. En 1860, lorsqu'il mourut, Schopenhauer avait acquis une renommée grâce à ses disciples; ses traits mordants et ses aphorismes spirituels avaient forcé l'attention et aidé à répandre sa doctrine.
La force de la volonté Schopenhauer professe que le monde est tel que nous le connaissons, par cela même que ses phénomènes ne sont rien d'autre que nos sensations, ses lois nos idées. Ce phénomène, Schopenhauer le renomme «représentation»; ainsi, le monde est «ma représentation». Mais il y a plus: la pensée elle-même n'est qu'un phénomène. Toute la philosophie de Kant consiste dans la distinction du phénomène et du noumène. Le phénomène est ce qui nous apparaît, c'est-à-dire la représentation que nous nous faisons des choses. Le noumène est la chose en soi, inaccessible à notre connaissance, qui n'atteint jamais que le phénomène. Or, Schopenhauer déclare que la grande découverte de sa vie est celle de la chose en soi. Kant ne l'a pas trouvée parce qu'il la cherchait en dehors de lui; Schopenhauer, qui s'est affranchi du principe de raison, l'a découverte au-dedans de lui-même, et c'est la volonté. Et il entend par là la volonté intuitivement sentie en nous, force pure, sans individualité. Toute action d'un corps n'est qu'une objectivation de cette volonté universelle. Le monde lui-même ne se compose que des manifestations de cette volonté inconsciente et aveugle, s'élevant par degrés de la matière inorganique à la raison humaine, en passant par l'irritabilité des plantes et la sensibilité des animaux, puisque la vie est une lutte pour l'existence où l'on est sûr d'être vaincu, c'est-à-dire de mourir. L'intelligence n'est qu'un agent de la volonté chargé de pourvoir à la vie de l'individu.
Comment se délivrer de l'égoïsme Le fond de la conscience humaine elle même ne serait que cette tendance irrésistible au vouloir-vivre, illusion fatalement déçue. Le premier moyen de s'affranchir de cette illusion est l'art, ce frère aîné de la philosophie. Par l'art, le génie contemple les Idées éternelles et sait les exprimer, et par la contemplation il échappe aux dures nécessités de la vie. Comme le disait Spinoza, il voit alors toute chose «sous l'espèce de l'éternité». Mais il n'est que peu de génies. Pour l'homme ordinaire, le moyen de salut le plus à sa portée est la morale. L'existence n'est qu'une souffrance, puisque l'homme ne peut guider sa destinée. Mais par l'amour (tel que Jésus Christ l'a enseigné) et par la pitié, qui lui révèle la fraternité humaine, l'homme peut se délivrer de l'égoïsme. La seule libération véritable et totale est le «quiétisme» de la volonté individuelle, qui laisse toute sa valeur à la volonté universelle. Il faut abolir en soi le vouloir-vivre, il faut «sortir du monde de la vie et entrer dans l'inconscience» (nirvâna), pour parler dans le langage de l'hindouisme, dont les doctrines, bien qu'imparfaitement connues encore à l'époque, ont si fortement influencé Schopenhauer. Le suicide ne représente pas une solution, car il est encore inspiré par la passion.
La pitié, fondement de la morale Dans cette philosophie pessimiste, l'essence de l'être n'est donc qu'un effort douloureux, dont la libération n'est point dans le plaisir, répit négatif qui résulte de l'interruption momentanée de la souffrance, mais dans l'effort de l'intelligence, l'art, l'ascétisme moral et la pitié. Et c'est cette pitié qui viendra constituer le fondement de la morale. Dans leur jeunesse, Nietzsche (Considérations intempestives, Schopenhauer éducateur) et Thomas Mann (Die Buddenbrooks) ont été très marqués par la pensée de Schopenhauer.
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