On insiste souvent, et à juste titre, sur l'aspect intellectuel, sinon intellectualiste, de cette éthique. Le principe en est donné dans une formule fameuse du Traité politique, où Spinoza résume ainsi son attitude à l'égard des actions humaines: «Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre.» Mais la connaissance ne saurait à elle seule fonder une éthique, laquelle n'est rendue possible que par la normativité immanente du désir, et efficace que par la positivité aimante de la joie. L'éthique deSpinoza n'est donc ni intellectualiste ni volontariste (ni vérité ni volonté ne suffisent): c'est une éthique, indissolublement, de la connaissance et de la joie, et c'est en quoi c'est une éthique de l'amour. L'amour et la béatitude Qu'est-ce que la joie? C'est le «passage de l'homme d'une moindre à une plus grande perfection», répond Spinoza: l'âme se réjouit quand elle sent augmenter sa puissance d'exister et d'agir. Cette joie, comme toute modification réelle, a une cause, et telle est la vérité de l'amour: «L'amour est une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure» ou intérieure (ce que Spinoza appelle «amour ou contentement de soi»). Une joie qui ne serait pas aimante serait une joie, non certes sans cause (cela ne se peut), mais ignorante de ce qui la fait être et donc, au moins partiellement, de soi: l'amour est la vérité de la joie et inclut à ce titre l'amour de la vérité, qui est la philosophie même. Dans le Traité de la réforme de l'entendement, laissé inachevé, Spinoza notait déjà que «toute notre félicité et notre misère ne résident qu'en un seul point: à quelle sorte d'objet sommes-nous attachés par l'amour?». Et il ajoutait que seul «l'amour allant à une chose éternelle et infinie repaît l'âme d'une joie pure, d'une joie exempte de toute tristesse». Telle est la sagesse: il s'agit de tout aimer, non dans le détail fugitif des événements, mais dans l'éternelle nécessité de ce tout qui est Dieu. C'est ce que Spinoza appelle «amour intellectuel de Dieu», qui n'est pas autre chose que la joie de connaître (par le troisième genre de connaissance) et, puisque toute vérité est éternelle, l'éternité de cette joie. Telle est la béatitude, laquelle «n'est pas le prix de la vertu mais la vertu elle-même» et l'unique salut. «La fin de l'État est en réalité la liberté» Une telle aventure ne saurait se vivre seul: la sagesse, comme libération individuelle, n'est possible que dans la collectivité des hommes et suppose que celle-ci satisfasse à certaines conditions. L'homme fait partie de la Nature, mais n'est humain que par la culture. Aussi peut-il être considéré comme un animal sociable ou politique: tout homme a besoin des autres hommes pour être humain, et de leur liberté pour être libre. C'est pourquoi Spinoza se déclare partisan de la démocratie, laquelle correspond à la fois, et mieux qu'aucun autre régime, à la réalité de la politique (la confrontation conflictuelle des désirs) et à sa fonction (l'instauration de la paix dans la liberté). «Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre que l'État est institué; au contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir... La fin de l'État est donc en réalité la liberté.»
1 -[Baruch Spinoza]
2 -[Baruch Spinoza : La pensée de Spinoza]
3 -[Baruch Spinoza : La pensée et l'étendue]
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