Patrimoine  Spirituel  de l'Humanité


Descartes :

L'œuvre du savant
Mathématicien de génie, Descartes est aussi un des fondateurs de la physique. Moins heureux que Galilée dans ses recherches sur la chute des corps, il triomphe en optique : il découvre, vers 1626, la loi de la réfraction, puis il fait progresser la théorie de l'arc-en-ciel. Sur un autre terrain, enfin, il formule avec netteté notre notion moderne de travail (1637).

L'œuvre du philosophe : le mécanisme universel



Objet et méthode de la physique

Descartes n'a pas seulement approfondi des questions particulières de physique. Il a parcouru, dans le Monde et dans les Principes, l'immense domaine de la physique proprement dite, de la chimie, de la biologie ; l'œuvre du savant-philosophe — et non plus du savant tout court — est au reste un curieux mélange d'intuitions géniales et d'explications plus ou moins arbitraires.

Descartes est d'accord avec Galilée, qui «tâche à examiner les matières physiques par des raisons mathématiques» et déclare : «Toute ma physique n'est autre chose que géométrie.» Et l'épitaphe de Descartes dit : «Confrontant les mystères de la nature avec les lois de la mathématique, Descartes conçut l'audacieux espoir d'ouvrir avec la même clef les secrets de l'une et de l'autre.» La méthode sera donc déductive, à partir des principes fournis par la métaphysique et la raison (principes de conservation). Ceux-ci sont des hypothèses au sens mathématique, base d'une construction de vérités, et non des conjectures ou des hypothèses de travail.

Toutefois, pour distinguer les corps qui sont sur la Terre d'une infinité d'autres qui pourraient y être, il faut venir «au-devant des causes par les effets», instituer des expériences pour départager les diverses explications concevables, c'est-à-dire également compatibles avec les principes, en se gardant de les interpréter de manière à les faire paraître conformées à ce qu'on a d'abord supposé. Le but du Discours de la méthode, exposé dans sa dernière partie, est d'obtenir les secours nécessaires pour instituer de telles expériences. Descartes fait plus que pressentir la méthode expérimentale, insistant sur le va-et-vient entre l'idée et le fait, et sur leur action réciproque.

Pour le détail des règles, Descartes renvoie à Bacon, après lequel il n'a plus rien à dire. En fait, l'ampleur même de son dessein l'a conduit à subordonner au raisonnement pur la méthode expérimentale qui, sauf dans les cas énumérés ci-dessus — optique, travail… —, est restée le plus souvent sur le plan de la théorie.

Les principes de la physique



Comme Galilée, Descartes adopte la vision copernicienne du monde : l'homme n'est plus la fin de la création, la Terre n'est plus le centre de l'univers. D'une façon générale, il rejette entièrement de sa philosophie la recherche des causes finales : il essaie de trouver comment, et non en vue de quoi, les choses matérielles ont pu être produites.

L'essence des choses matérielles est l'étendue, l'espace infini ; un corps n'est qu'une partie limitée de l'étendue ; soit un corps supposé en repos : un autre est dit en mouvement si sa position par rapport au premier n'est jamais la même en divers instants. Avec l'étendue et le mouvement, Descartes se flatte de reconstruire le monde ; ne peut-on assimiler, dans une large mesure, les effets des corps naturels à ceux des machines que font les artisans ? La seule différence est que «les tuyaux ou ressorts qui [les] causent… sont ordinairement trop petits pour être perçus de nos sens». Ainsi, «les règles des mécaniques sont les mêmes que celles de la nature».

En somme, Descartes pense la matière en fonction des deux sciences qui, à son époque, sont suffisamment avancées : mathématiques et mécanique ; par là même, il formule la conception mécaniste de la science, qui devait régner sans conteste pendant plus de deux siècles ; ramener, en effet, les phénomènes naturels à des mouvements mesurables, c'était suggérer aux savants une hypothèse de travail qui devait se montrer la seule féconde, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que le mouvement mécanique, le simple changement de lieu, n'est pas la seule espèce de changement qui se produise en réalité dans le monde.

En fait, le mécanisme présente chez Descartes certains caractères qui ne lui sont pas essentiels. La seule cause du mouvement est le choc, dont l'action est instantanée (la lumière, par exemple, traverse en un instant les immenses espaces des cieux). Tout mouvement réel est tourbillonnaire (circulaire) : il n'y a pas de vide, en effet, puisque l'étendue se confond avec la matière ; si donc un corps pousse devant lui un autre corps, celui-ci en pousse un autre, et ainsi de suite, jusqu'à celui qui était derrière le premier, et qui prend sa place.

Chocs et tourbillons obéissent à deux grands principes, tous deux fondés sur l'immutabilité divine : l'inertie, et la conservation de la quantité de mouvement. La volonté de Dieu, étant absolue, ne saurait changer ; Dieu, par suite, n'a pu vouloir, à un certain moment, qu'il y eût plus de mouvement dans le monde, à un autre moins ; en formulant cette loi (la quantité de mouvement est définie par mv [produit de la masse par la vitesse], et Leibniz donnera du principe de conservation une expression plus exacte, qui sera elle-même corrigée plus tard), Descartes affirme par avance, dans une intuition géniale, la conservation de l'énergie, qui sera prouvée deux siècles après lui.

Genèse du monde



Toutefois, il ne peut aller jusqu'à voir dans le mouvement une propriété essentielle de la matière, qui est au contraire «inerte». Le mouvement vient du dehors, d'une impulsion initiale communiquée par Dieu. Cette concession à la théologie ne paraîtra pas suffisante à Pascal, qui écrira sur ce point : «Je ne puis pardonner à Descartes ; il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu.»

Dieu, en effet, laisse agir la nature suivant les lois qu'il a établies ; le chaos dont il est l'auteur s'organise alors progressivement. Ce schéma de la création est certes en désaccord flagrant avec le récit de la Bible, selon lequel «dès le commencement, Dieu… a rendu le monde tel qu'il devait être» ; il repose, en tout cas, sur une idée dont le développement ultérieur de la science a montré toute la valeur : la nature des choses matérielles «est bien plus aisée à concevoir, lorsqu'on les voit naître peu à peu en cette sorte, que lorsqu'on ne les considère que toutes faites». Par là, Descartes est conduit à certaines hypothèses dont la portée ne saurait être négligée ; plus d'un siècle avant Kant et Laplace, il essaie d'expliquer la formation du système solaire ; deux cents ans avant les théories transformistes, il rapporte la formation de l'homme — ou plus exactement du corps humain — non à l'intelligence divine, mais aux «lois éternelles de la nature».

La biologie


Nous n'entrerons pas dans les détails de la physique cartésienne. Voyons seulement ce qu'elle nous enseigne sur les animaux et sur les hommes.

Les animaux machines
Assimilant la matière vivante à la matière brute, et refusant aux animaux la pensée, Descartes compare ces derniers aux «automates, ou machines mouvantes, que l'industrie des hommes peut faire». Certes, les animaux sont des pures machines, car ils sont incapables de parler, au plein sens du terme ; ils témoignent plus d'industrie que nous en quelques-unes de leurs actions, mais à la manière d'une horloge, qui mesure exactement le temps ; enfin, si on leur accordait une âme, il faudrait admettre, ou bien qu'elle est immortelle comme l'âme humaine, ou bien que celle-ci est mortelle comme l'âme des bêtes.

Les fonctions du corps humain
La raison est la seule chose qui nous distingue des bêtes. Car le corps humain est, lui aussi, une machine. Le mouvement du cœur et des artères «suit aussi nécessairement de la seule disposition des organes qu'on peut voir à l'œil dans le cœur et de la chaleur qu'on y peut sentir avec les doigts, et de la nature du sang qu'on peut connaître par expérience, que fait celui d'une horloge, de la force, de la situation et de la figure de ses contrepoids et de ses roues». Les autres fonctions corporelles s'expliquent, elles aussi, comme des suites de ce «feu sans lumière» qui brûle continuellement dans le cœur ; par exemple, les parties «les plus agitées et les plus pénétrantes» du sang chauffé par le cœur composent les «esprits animaux», sorte de flamme très pure et très vive qui, circulant à l'intérieur des nerfs, vient produire les mouvements des membres.

Double aspect de la biologie
Si Descartes, dans sa biologie, continue en partie la scolastique en subordonnant l'expérience au raisonnement a priori, en conservant, d'autre part, certaines notions fantaisistes comme celles du feu cardiaque ou des esprits animaux, dans l'ensemble, cependant, il fait œuvre de novateur : il propage la grande découverte de Harvey, celle de la circulation du sang. Il l'explique d'ailleurs — contrairement à Harvey et contrairement aux faits — par la chaleur cardiaque : le cœur n'est pas pour lui une pompe, mais un thermosiphon. Il invite les physiologistes à se débarrasser des qualités occultes (âme végétative ou sensitive, faculté pulsifique, etc.), et à découvrir les phénomènes mécaniques ou physiques qui se passent dans la matière vivante ; est-il besoin d'ajouter que ce programme ne pouvait être rempli par un seul homme, surtout à une époque où les instruments nécessaires à l'observation, le microscope notamment, n'existaient pas encore ?


  
  
  


Source : Données encyclopédiques, copyright © 2001 Hachette Multimédia / Hachette Livre, tous droits réservés.

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