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L'éthique épicurienne


Epicurisme : L'éthique épicurienne

C'est ce qui donne à l'éthique épicurienne sa tonalité spécifique: une pensée du hasard et de la mort y culmine dans l'eudémonisme, dans une éthique du bonheur.
Le quadruple remède

Cette éthique était résumée, dès l'Antiquité, par ce qu'on a appelé le tetrapharmakos (le «quadruple remède»), qui tient en quatre propositions fondamentales: il n'y a rien à craindre des dieux; il n'y a rien à craindre de la mort; on peut atteindre le bonheur; on peut supporter la douleur.
Rien à craindre des dieux, non parce qu'ils n'existent pas («la connaissance que nous en avons est évidente», disait Épicure), mais parce qu'ils ne s'occupent pas de nous: leur bonheur immortel leur suffit. Rien à craindre de la mort, non parce qu'on ne meurt pas, mais parce qu'on meurt pour de bon. La mort n'est qu'un pur néant; elle n'est donc rien pour nous: elle n'est pas là quand nous sommes, et, quand elle est là, nous ne sommes plus.
Quant à la douleur, elle est toujours limitée: extrême, elle est brève; durable, elle est supportable. L'esprit, purgé des fausses frayeurs de la superstition (les dieux, l'enfer), peut alors jouir en paix du plaisir: cette jouissance paisible est le bonheur même.
Mais quel plaisir? Il faut distinguer ici, explique Épicure, différents types de plaisirs. Certes, tout plaisir, en lui-même, est un bien, comme toute douleur est un mal. Mais tout plaisir ne doit pas être choisi; toute douleur ne doit pas être évitée. Il faut savoir renoncer à un plaisir qui entraînerait plus de désagréments et accepter certaines douleurs comme conditions d'un plaisir plus grand. De là une classification dichotomique des désirs.

Les désirs

Les désirs sont soit naturels, soit non naturels. Ces derniers (désirs de richesse, de pouvoir, de gloire…), par nature illimités, sont vains, parce que sans objet capable de les satisfaire. Le sage ne peut qu'y renoncer. Quant aux désirs naturels, les uns sont nécessaires, les autres non. Les premiers, les désirs naturels et nécessaires, sont toujours bons: qu'ils portent sur des objets nécessaires à la vie même (comme la nourriture), au bien-être (comme les vêtements) ou au bonheur (comme l'amitié ou la philosophie), ils sont faciles à satisfaire et laissent le corps et l'âme en repos. Les seconds, les désirs naturels et non nécessaires, sont bons par eux-mêmes, mais peuvent parfois – si l'on en devient esclave – introduire dans la vie plus de désagréments que de plaisirs. Ainsi en est-il des désirs sexuels ou esthétiques. Le sage saura ici faire preuve de discernement, et jouir d'autant mieux des plaisirs qui se présentent qu'il sait qu'aucun n'est absolument nécessaire à son bonheur: ce sont des plaisirs donnés par surcroît, délectables quand ils sont là, mais qui ne doivent pas manquer quand ils n'y sont pas.



L'ataraxie

De là ce paradoxe bien connu de l'éthique épicurienne: fondée sur le plaisir (c'est un hédonisme), elle débouche sur un quasi-ascétisme. C'est que, si le plaisir est le souverain bien, il ne l'est qu'à la condition de pouvoir être satisfait pleinement et facilement: un peu de pain, un peu d'eau, un peu de philosophie y suffisent. Le plaisir ne réside pas dans la jouissance, mais il consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l'âme, à n'être pas troublée. Telle est l'ataraxie (littéralement «absence de trouble»), qui est la paix de l'âme et le vrai nom de la sagesse.

Les épicuriens et l'«épicurisme»

Après Métrodore, Hermarque et Polystrate, les plus illustres des élèves d'Épicure, de nombreux autres disciples succédèrent à «ceux du Jardin». La doctrine, ressuscitée par Lucrèce, finit par gagner Rome, où régnait même un épicurisme populaire jusqu'au Iie siècle apr. J.-C. Dans le débat sur la scolastique qui culmina à la Renaissance et au XVIIe siècle, les partisans de la science nouvelle renouèrent avec l'atomisme et le sensualisme d'Épicure. Ainsi, des philosophes comme Gassendi et, plus tard, Diderot et Nietzsche ont pu être considérés comme épicuriens.
La recherche du bonheur individuel, ce principe qui appelle à la réflexion pour éviter tout ce qui apporte en définitive plus de désagrément que de plaisir, a souvent été jugé, et déjà par Cicéron, comme une invitation à sombrer dans les plaisirs sensuels. Le caractère austère, voire ascétique, de la vie à l'écart du monde disparut avec d'autres recommandations du philosophe, don’t le nom devint synonyme de concupiscence et dont les disciples furent qualifiés de «pourceaux». De ce contresens est née la notion d'«épicurisme», qui repose sur un des plus surprenants malentendus qui aient frappé une pensée philosophique.


  
  


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