S'il fuyait toute contrainte sociale, Jean de La Fontaine ne faillit jamais à sa vocation littéraire: après la disgrâce de son premier protecteur, Nicolas Fouquet, le poète de Vaux-le-Vicomte cède la place à l'auteur des Contes libertins et au grand fabuliste, qui renouvelle entièrement, par son style enjoué, l'apologue ésopique. Imitateur inimitable, prônant par-dessus tout le naturel, il est la figure de l'écrivain classique par excellence. Celui qu'André Gide qualifiera de «miracle de culture» est un «grand rêveur» pour Tallemant des Réaux. Sa rêverie, qui engendre des distractions, est souvent sœur de la paresse, et parfois de l'ennui. En société, Jean de La Fontaine ne sait pas être spirituel sur commande, son esprit et sa conversation s'éteignent sous la contrainte. Cependant, son inertie se conjugue avec beaucoup de hardiesse dans la vie amoureuse et d'énergie dans le travail d'écrivain. Elle s'apparente à une dérobade devant les servitudes du réel. La séduction amoureuse et la création littéraire figurent, pour La Fontaine, parmi les déclinaisons du songe et de la liberté. Les fausses vocations Baptisé le 8 juillet 1621, à Château-Thierry, Jean de La Fontaine est issu de la moyenne bourgeoisie provinciale. Sa mère, veuve d'un riche négociant, a épousé Charles de La Fontaine, maître des Eaux et Forêts. L'enfant fréquente le collège de sa ville natale. À partir de 1637, il suit vraisemblablement des études de droit à Paris, sans application particulière, avec Antoine Furetière pour principal compagnon d'études et de loisirs. Bien des années plus tard, il sera reçu au barreau et usera, dans un acte de 1649, du titre d'avocat, mais plaidera très peu. En avril 1641, Jean de La Fontaine décide d'entrer à l'Oratoire. Mais, très vite, la régularité et l'austérité de la vie religieuse le rebutent. Après son noviciat, qui aura duré dix-huit mois, il hésite à choisir une carrière, partageant une vie plus ou moins oisive entre Paris et Château-Thierry. En 1647, il épouse une toute jeune fille, richement dotée. Cinq ans plus tard, il acquiert une charge de maître des Eaux et Forêts, qu'il exercera sans enthousiasme. Parallèlement, celui qui s'était soustrait à la rigueur de l'Oratoire refuse les contraintes de la vie conjugale: les deux époux se sépareront à l'amiable. Les premières muses Étudiant, Jean de La Fontaine avait bien rimaillé un peu, mais la nécessité de la littérature ne s'était pas encore imposée à lui. Sa vocation poétique aurait éclos à l'écoute d'une ode de Malherbe; son apprentissage littéraire passe par la poésie héroïque d'Ovide et par la découverte d'Horace. En 1645-1646, il assiste aux réunions de la «Table ronde», sorte d'académie où se retrouvent, autour du vieux Mainard, de jeunes poètes comme Furetière ou Pellisson. Ces premiers critiques de La Fontaine l'introduisent dans la république des lettres. Sa première œuvre publiée (1654), une adaptation en vers de l'Eunuque de Térence, est un échec complet. Jean de La Fontaine en connaîtra d'autres: bien plus tard, il écrira pour la scène deux livrets d'opéra, Daphné (1674), commandé par Lully et refusé au profit d'un livret de Quinault, et Astrée (1691), qui ne sera représenté que six fois. Le dramaturge malheureux laissera au fabuliste le soin de faire dialoguer hommes et animaux. Les protecteurs de La Fontaine En 1658, Jean de La Fontaine offre au surintendant des Finances Nicolas Fouquet le manuscrit d'Adonis, idylle où la veine galante et les thèmes précieux se mêlent à la poésie héroïque. Un an plus tard, il est pensionné par le mécène de Vaux-le-Vicomte. En retour, il lui doit une «pension poétique»: sonnets, ballades et autres madrigaux. Il commence le Songe de Vaux, flânerie poétique à travers les «merveilles» du château, qui restera à l'état de fragments. En 1661, le surintendant est arrêté et emprisonné. Jean de La Fontaine, qui ne se départira jamais de sa fidélité envers le ministre déchu, prend courageusement sa défense dans une Élégie aux nymphes de Vaux (1661) et une Ode au roi (1663). Aussi, alors que Le Brun, Le Vau et Le Nôtre, eux aussi anciens protégés de Fouquet, œuvreront pour la plus grande gloire du Roi-Soleil, toute la carrière de La Fontaine sera marquée par une constante désaffection royale. Le poète est exilé quelque temps à Limoges (six lettres envoyées à sa femme forment une savoureuse relation de ce Voyage en Limousin). Sans emploi et sans protecteur, c'est seulement en juillet 1664 qu'il parvient à entrer au service de la duchesse douairière d'Orléans, au palais du Luxembourg. Délivré des soucis matériels, il peut à nouveau exercer un talent aiguisé à Vaux, où il a expérimenté avec bonheur le mélange des styles et des genres.
1 -[Jean de La Fontaine]
2 -[Jean de La Fontaine : L'art du conteur: Les Fables de la Fontaine]
3 -[Jean de La Fontaine : Le style de la Fontaine]
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