Le génie de Victor Hugo est partout, dans tous les genres littéraires qu'il bouleverse et s'approprie – du roman au drame, de la poésie à la critique, de l'ode au pamphlet – comme dans cette facilité à se faire l'acteur des grands rôles publics: du chef de file du romantisme au patriarche de la République, ce virtuose officiel et scandaleux cumule la célébrité du notable et la gloire de l'exilé; ce bourgeois pourfend la tyrannie de Napoléon III, défend les communards et dénonce la peine de mort. Violence et paradis Né le 26 février 1802 à Besançon, Victor Hugo est le dernier fils d'un ménage désuni, bientôt disloqué. Soldat de la Révolution, Léopold Hugo est devenu comte et général, spécialiste de la «pacification» des résistances – Vendée, Italie, Espagne; Sophie Hugo élève seule ses trois garçons et protège le parrain de Victor Hugo, le général Lahorie, ancien ami de Léopold, mais opposant à l'Empire. D'un côté, l'univers maternel organise une enfance parisienne magique et studieuse au «paradis» des Feuillantines, immense parc où Victor apprend la nature et Virgile. De l'autre, le rêve napoléonien auréole de son héroïsme et de ses victoires un père absent et mythique. 1811: le conflit tourne à la blessure. À Madrid, après la traversée d'une Espagne occupée et sanglante, un choc attend les petits Hugo. Leur père, au lieu de les fêter, les enferme au collège des Nobles, noire pension catholique et antifrançaise, dont Eugène et Victor Hugo se vengent par leur écrasante supériorité scolaire. Rendus à Sophie par l'intervention du roi Joseph, ils retrouvent en 1812 les Feuillantines, les bibliothèques où ils se «vautrent», et la petite camarade, Adèle Foucher. À l'automne, le général Lahorie, arrêté aux Feuillantines juste avant le départ pour l'Espagne, est fusillé. Victor Hugo a dix ans. 1815: l'Empire s'effondre. Sophie exulte. Le père obtient le divorce et la garde de ses fils, qu'il met de nouveau en pension, et qu'il veut polytechniciens. Mais Eugène et VictVictor Hugoor deviennent, dans la clandestinité, poètes et ardents partisans de la Restauration, qui, en 1818, les rend à leur mère et à la liberté. Victor a seize ans, son enfance s'achève, mûrie par la violence de la guerre, de la désunion, des injustices, des abandons, auxquels Quasimodo, Cosette et Gavroche feront écho.
Hugo lancé Les jeux Floraux de Toulouse, en couronnant le poète, saluent sa virtuosité et sa docilité politique. Mais le petit jeune homme bien pensant se révèle peu raisonnable. Il est amoureux de l'amie d'enfance, Adèle Foucher. Il s'en déclare, en secret, le «fiancé», passionné, jaloux – et chaste. La chose est découverte; Mme Hugo interdit les rencontres. Une fois de plus déchiré et trahi, Victor Hugo se tait, mais ne s'incline pas et attend. Sa mère meurt en 1821, et la noce se fait l'année suivante, au prix d'une culpabilité aggravée par l'indifférence du père, la jalousie délirante d'Eugène et une situation précaire. L'énergie de Victor Hugo – «vainqueur» – est sans borne: il «fera carrière». Dans le sillage de Chateaubriand, il fonde le très monarchique Conservateur littéraire, et avec quelques larmes et quelques vers sur la mort du duc de Berry obtient une petite pension de Louis XVIII. Hugo a une famille et une position.
Du poète officiel au contestataire Lancé par le succès de ses Odes, il rayonne déjà comme l'un des chefs, avec ses amis Vigny et Lamartine, d'un nouveau mouvement, le romantisme, dont les idoles sont André Chénier, Byron, Chateaubriand. Charles X offre à cette belle équipe, qui conteste les classiques mais encense le trône, l'entrée dans une carrière officielle. Convoqué au sacre de Reims, en 1825, Victor Hugo paie d'une ode sa reconnaissance et la Légion d'honneur. Les Odes et Ballades et les Orientales consacrent la notoriété d'un poète d'avenir, éblouissant d'adresse et d'audace. Ce profil balzacien de jeune arriviste se colore pourtant d'anticonformisme. La mort de son père, en 1828, révèle à Victor Hugo, comme au Marius des Misérables, les grandeurs de l'ère napoléonienne. Il se détourne de sa dévotion monarchique, revendique l'héritage paternel, fait graver sur ses cartes «baron Victor Hugo». La même année, il écrit un roman déviant, le Dernier Jour d'un condamné, qui dit l'horreur de la peine de mort et dénonce le prix d'inhumanité dont se paie l'ordre social. C'est la première fois – non la dernière – que Hugo compromet sa réussite. L'image privée est aussi contrastée. L'idole de toute une génération de jeunes «sauvages», dont l'excentricité tapageuse et républicaine, les cheveux longs, les cigarettes et les «orgies» effarouchent le bourgeois, est lui-même glabre, sobre, strict. Devant ces célibataires bohèmes, le poète pouponne une famille charmante de – déjà – quatre enfants: Léopoldine, Charles, François Victor, Adèle.
1 -[Victor Hugo]
2 -[Victor Hugo : Le renouveau du théâtre]
3 -[Victor Hugo : Victor Hugo seul]
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