En poésie, le même livre joint les nobles Odes aux légères Ballades et une élégiaque nostalgie de l'Ancien Régime aux premiers tonnerres de la légende napoléonienne. Dans les recueils lyriques, comme Feuilles d'automne, voisinent la voix intime de l'amour, les visions de «La pente de la rêverie» que développera la Légende des siècles et la vocation d'un poète prophète, qui annonce les Châtiments. L'Art d'être grand-père embrasse l'enfance et le peuple sous un seul nom: les «petits». À la scène, Victor Hugo ne borne pas l'innovation au drame. Il y revient après 1860 et, libéré par l'exil des contraintes de la représentation, invente des pièces d'une modernité incomprise jusqu'à ces toutes dernières années: comédies poétiques du Théâtre en liberté, comédie sociale de Mille Francs de récompense, attaque allègre des valeurs bourgeoises à l'abri des coffres-forts. Les romans aussi échappent à tout étiquetage. Quoique Hugo se documente autant que Balzac, Flaubert ou Zola, sa narration choisit d'autres voies que le réalisme pour dire le vrai, et hors du mouvement du siècle suit sa voie propre. Sans renoncer aux ressources de la stratégie romanesque que sont l'aventure de l'intrigue, les héros en marche vers eux-mêmes, la vérité de l'étude sociale (les Misérables) ou historique (Notre-Dame de Paris et Quatrevingt-Treize), le récit hugolien crève les cadres de la fiction vraisemblable, déroutée vers des horizons démesurés: méditation du «Ceci tuera cela» dans Notre-Dame de Paris, épopée de Waterloo, «parenthèse» du couvent, philosophie de l'argot dans les Misérables, immense description du Paris révolutionnaire dans Quatrevingt-Treize. Ces fractures du récit ne sont pas de désinvoltes digressions, mais une façon fabuleuse ou mythique de traduire le réel irréductible à la fiction.
Fragments divers et dessins À ce tout s'ajoute – et s'oppose – une innombrable collection de fragments accumulés en marge des publications. Une partie en est éditée sous le titre Choses vues. Dialogues entendus dans la rue ou à la Chambre, notes de voyage, portraits de contemporains, scènes de procès ou d'émeute témoignent, sur le vif, de l'attention aiguë et constante portée par Victor Hugo aux minuscules choses de la vie comme aux grands événements et corrigent heureusement l'image pompeuse du poète statufié par sa légende. Les mêmes manuscrits révèlent un vrai talent de dessinateur. Caricatures, paysages, architectures oniriques des burgs rhénans ou des phares de Guernesey, marines, réalisés avec les matériaux les plus divers, attestent l'inventivité sans limites de leur auteur. Victor Hugo enfin est le seul, par la durée même de sa vie et sa coïncidence avec son siècle, à en rapprocher les bords: Balzac meurt en 1850, Zola naît en 1840. Nul autre que Victor Hugo ne put mesurer d'une seule œuvre la démesure du XIXe siècle. Il incarne à la fois la jeunesse romantique du siècle, sa maturité violente et sa légende. Si Gautier, Musset et Dumas furent comme lui les enfants terribles du romantisme, la mort ou l'assagissement les ont exclus de ce rayonnement accru par les combats de l'exil et la gloire républicaine, de cette métamorphose amalgamant l'homme et son œuvre dans un personnage mythique.
1 -[Victor Hugo]
2 -[Victor Hugo : Le renouveau du théâtre]
3 -[Victor Hugo : Victor Hugo seul]
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