Cadet de quelques années de Huang Zongxi et de Gu Yanwu avec lesquels son nom est associé aujourd'hui, Wang Fuzhi est également connu sous son appellation Chuanshan (montagne du Hunan ou il vécut en retraite). Il présente avec ses ainés une certaine similitude de destin et de dessein, bien que sa pensée n'ait pas eu de son temps le meme retentissement. La plupart de ses couvres, violemment hostiles aux occupants mandchous, furent mises sous le boisseau et ne furent publiées - expurgées - qu'au xix siècle. Wang Fuzhi est certainement un penseur d'une stature exceptionnelle dont la philosophie totale, qui bénéficie d'un point de vue panoramique sur la tradition classique dans toute son ampleur, est pourtant indissociable de la tragédie qu'il vécut personnellement
Issu d'une famille de lettrés modestes mais fiers de leur probité, il commence lui aussi par se lancer dans l'action politique à la fin des Ming en créant à vingt ans, dans son Hunan natal, une Société pour la réforme (Kuangshe) nettement inspirée de la Société du Renouveau. Animé d'une profonde haine des Mandchous, il s'engage pendant une dizaine d'années dans la lutte contre les usurpateurs en servant le fragile et éphémère règne de l'empereur Yongli qui, au milieu d'une guerre de clans, tente de sauver ce qui reste de la dynastie Ming.
C'est pendant cette période agitée qu'il se lie d'une amitié durable avec Fang Yizhi (1611-1671), esprit encyclopédique dont l'œuvre porte aussi bien sur I'astronomie, les mathématiques, la musique, la géographie et la médecine que sur la phonétique, la calligraphie, la peinture et I'histoire, et qui avait alors choisi, comme beaucoup d'autres, de se faire moine bouddhiste. Après la chute de Pékin aux mains des Mandchous, à la demande de son père qui sent venir la fin, Wang Fuzhi compose un commentaire sur les Annales des Printemps et Automnes. Pour lui, la fréquentation des Classiques n'est pas une entreprise de pure érudition, elle comporte un enjeu direct dans l'urgence de la situation ou il se trouve. Comme pour son ainé Gu Yanwu, les Annales lui servent de référence pour justifier la distinction entre les conflits condamnables qui divisent des pays appartenant au monde civilisé, et la << guerre juste >> que les Chinois se doivent de mener contre les barbares, allusion flagrante aux Mandchous:
Mais la virulence toute juvénile qui se dégage de ce commentaire sonne en fait comme un aveu d'impuissance car, dès la trentaine, Wang Fuzhi est contraint de renoncer à l'engagement politique, de passer le restant de ses jours caché par refus de transiger avec les autorités mandchoues et de chercher dans une retraite studieuse ce qui était sans doute tout à la fois une évasion et une nouvelle forme d'action.
Source : Anne Cheng, Histoire de la pensée Chinoise
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