Dans certaines écoles philosophiques de la Grèce antique, une nette distinction était observée entre ce que l'on appelle l'ésotérisme et l'éxotérisme, termes qui, respectivement formés des préfixes grecs esô et exô, et signifiant «intérieur» et «extérieur», désignent deux aspects complémentaires d'une même doctrine. L'aspect exotérique était seul mis par écrit et accessible à tous (non-initiés, profanes), tandis que la partie ésotérique était l'objet d'un enseignement strictement oral en faveur de disciples choisis dont on avait éprouvé la discrétion. L'ésotérisme, donc, désigne le sens intérieur et profond, celui qu'un maître, qu'un temple ou qu'une école révèlent seulement à leurs adeptes. On fait remonter l'ésotérisme à l'Égypte antique, où les prêtres ne divulguaient leurs connaissances qu'avec parcimonie. Cette distinction a été principalement appliquée aux doctrines de Pythagore, et il est probable qu'elle n'était pas étrangère aux leçons de Platon et d'Aristote, mais il n'est pas certain qu'elle impliquait pour les élèves de ces derniers les rites de purification et le serment de silence que le pythagorisme avait en commun avec l'initiation aux mystères célébrés à Éleusis et ailleurs. L'obligation de se taire imposée au myste (de muô, je garde les lèvres fermées) paraît avoir eu, de part et d'autre, une portée symbolique autant que disciplinaire, ayant pour objet ce qui, dépassant les moyens du langage rationnel, ne pouvait être transmis qu'à l'aide de symboles, d'allégories et de drames liturgiques. Il n'est pas exclu qu'elle s'étendît à certains procédés somatiques destinés à mettre le disciple dans les dispositions requises pour parvenir à une prise de conscience engageant tout son être, corps et âme. De toute façon, on est fondé à penser que l'ésotérisme dont il s'agit ne consistait pas en un supplément d'explications théoriques au niveau de ce qui était enseigné à tous indistinctement. S'il développait ce que contenait virtuellement l'exposé initial sous une forme simplifiée, la différence de point de vue entraînait un élargissement de l'horizon intellectuel de celui qui en bénéficiait et qui «réalisait» une identification par la connaissance.Tous les philosophes anciens délivraient d'ailleurs une explication plus ou moins mystérieuse à leurs élèves, selon le degré de perfection ou de pénétration dont ils les créditaient. Dans cette optique, tout enseignement, toute doctrine, tout système philosophique peut être compris à des niveaux différents. C'est bien ainsi que l'entendait le Moyen Âge chrétien, qui distinguait dans tout discours quatre niveaux de sens: le niveau littéral; le niveau allégorique, qui concerne les vérités accessibles à l'homme dans sa condition terrestre et spirituelle; le niveau tropologique, qui préside à la démonstration morale; le niveau anagogique, qui embrasse la vision mystique des fins dernières et éternelles.L'ésotérisme, cependant, ne joue pas seulement sur cette stratification des sens. Tout se passe comme s'il s'appuyait sur l'idée que les premiers hommes avaient possédé la connaissance directe des principes fondamentaux antérieurs au langage discursif et à la raison – d'où la notion de Tradition chère aux ésotéristes et le mythe de l'âge d'or. La tradition primordiale, en effet, aurait été donnée aux êtres humains. Selon des traditionalistes comme Raymond Abellio, elle l'aurait été d'un seul coup, tout entière, mais voilée, parce que ceux qui l'ont reçue en partage ne possédaient pas encore les moyens intellectuels pour l'énoncer clairement. Il appartient aux hommes d'aujourd'hui de l'expliciter et d'en faire une véritable connaissance. Là est la double signification du mot fin, à la fois but et achèvement, du titre d'un ouvrage d'Abellio, datant de 1973: la Fin de l'ésotérisme. Certes, la connaissance absolue à laquelle aspire l'ésotériste, se dérobe et se dérobera toujours. Il n'empêche: la Tradition peut être dans une certaine mesure mise au clair.Et ce, d'autant plus que l'enseignement ésotérique prétend donner la signification profonde des symboles, des mystères sacrés, et l'interprétation, pour un petit nombre qui a reçu l'initiation, de l'Apocalypse, de la kabbale, de la vision d'Ézéchiel. Cet enseignement est à l'origine de nombreuses sociétés secrètes. Il y aurait même un ésotérisme chrétien, dit anthroposophique, qui aurait été donné par le Jésus lui-même après sa résurrection et transmis dans le christianisme primitif par les sectes gnostiques, ainsi que par les enseignements du Pseudo-Denys, de Nicolas de Cues, des alchimistes, des Templiers, des Rose-Croix.
Ésotérisme et hérésie
Généralisant l'exemple du pythagorisme, on a en effet émis l'hypothèse d'un enseignement ésotérique dans toutes les religions antiques, qui, ainsi, dériveraient d'un fonds métaphysique commun, diversifié par le vêtement de leurs mythologies respectives, qui le révèlent en même temps qu'elles le dissimulent. De ce point de vue, mainte hérésie d'allure gnostique aurait eu pour origine la divulgation inconsidérée et mal interprétée de données ésotériques. Il est certain qu'on trouve en Occident, depuis l'Antiquité, de multiples indices prouvant l'existence d'écoles très fermées, dont la doctrine ne nous est parvenue que sous le voile d'un langage volontairement cryptique, indéchiffrable pour qui n'en possède pas la clef. C'est notamment le cas de l'hermétisme et de l'alchimie, dont on constate la vitalité à travers tout le Moyen Âge chrétien. La question controversée de l'ordre du Temple, et de sa condamnation pour hérésie, ne cesse de susciter des études qui placent sa solution sous le signe de l'ésotérisme, lequel aurait permis aux Templiers d'avoir avec les musulmans des relations pacifiques. Par la suite, on relève le rôle énigmatique de diverses sociétés secrètes telles que la Fede Santa et les Fidèles d'Amour, auxquelles appartint Dante, dont l'œuvre est parsemée de symboles ésotériques. Ces divers courants semblent avoir eu comme dernier épisode la mystérieuse fraternité des Rose-Croix, avec laquelle Descartes essaya vainement d'entrer en contact. On sait que le fameux Cagliostro revendiquait cette qualité, mais il semble établi que cette organisation a disparu lors de la guerre de Trente Ans. Quant aux groupements «rosicruciens» qui, depuis, ont vu le jour, tout porte à croire que leur rattachement aux véritables Rose-Croix est purement idéal.En dépit de son étymologie, le terme d'ésotérisme a reçu une extension qui en fait un synonyme de n'importe quelle science occulte, même de l'ordre le plus inférieur. Comme on l'a indiqué, ce terme présuppose une même doctrine, dont il sert à désigner l'aspect le plus élevé, lequel ne saurait être ni opposé ni contradictoire au regard de ce qui appartient à la mentalité commune. Pour trouver dans l'univers traditionnel des exemples correspondant à cette norme et offrant toutes les garanties de l'orthodoxie, le choix se limite au Judaïsme, avec la kabbale, à l'Église grecque, avec l'hésychasme (spiritualité monastique, liée aux exercices spirituels pratiqués par les Pères du désert), et à l'islam, avec le soufisme.
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