L'Apologie de la religion chrétienne, œuvre à laquelle Blaise Pascal consacre ses dernières années, ne relève pas de la théologie rationnelle, bien qu'elle s'adresse à des lecteurs nourris de philosophie et épris de sagesse antique. Il s'attache à montrer que la condition humaine ne peut être comprise qu'à la lumière de l'Écriture, qui révèle l'histoire de l'homme, celle d'un être déchu. Pour lui, la philosophie stoïcienne d'Épictète pèche par orgueil en affirmant que nous sommes capables de faire notre salut nous-mêmes. De même, il critique le scepticisme de Montaigne, qui reconnaît l'impuissance de l'homme mais qui s'en accommode trop. Tous deux attribuent à tort les faiblesses et les forces de l'homme à une prétendue «nature humaine». Pascal, qui y voit l'échec de la philosophie, se tourne vers la foi. Ce qui détourne Blaise Pascal de l'ambition philosophique, notamment de la pensée de Descartes, à qui il reproche sa confiance en une raison capable de vérité, c'est que la satisfaction suprême, selon lui, ne saurait provenir de la connaissance, même parfaite, de la nature. Du reste, la science de la nature, ou «philosophie naturelle», ne conduit nullement à la certitude, encore moins à la sagesse. Prétendant légiférer sur la conduite, les philosophes ne connaissent ni la matière dont le corps est composé ni la structure de l'Univers, et leurs querelles portent sur le concept même du souverain bien. La raison devrait renoncer à rechercher le fond des choses pour orienter l'existence. «Philosopher, c'est se moquer de la philosophie» Chacune des deux attitudes philosophiques opposées, à savoir le pyrrhonisme – qui préconise le doute radical – et le dogmatisme – qui proclame des thèses sans les soumettre à l'examen critique –, repose sur des considérations partiellement justes: il est vrai que les philosophes ont une «impuissance de prouver», mais ils ont une idée de la vérité «invincible à tout le pyrrhonisme». De cette contradiction des positions partiellement vraies, qui caractérise la philosophie selon lui, Blaise Pascal conclut que la raison ne peut se comprendre elle-même. En témoigne la géométrie, sa plus éclatante réussite, qui fonde ses démonstrations sur des axiomes, c'est-à-dire des principes qui ne sont pas eux-mêmes démontrés. La raison ne satisfait pas à ses propres exigences car elle ne parvient pas à rendre compte de tous les phénomènes et de toutes les expériences humaines. Ce qu'on connaît par le «cœur» ou par le «sentiment» échappe à la géométrie – l'«ordre le plus parfait entre les hommes» – et à sa méthode. La raison peut saisir la nécessité, mais, comme on le constate dans la géométrie, cette nécessité n'est que formelle. Il faut toutefois éviter de lui retirer toute confiance ou, au contraire, de ne se fier qu'à elle en prétendant qu'elle peut offrir une base solide à nos jugements. La seule manière de «vraiment philosopher», c'est de «se moquer de la philosophie» et de la raison. De même que la raison n'est ni impuissante ni toute-puissante, de même l'homme doit être considéré comme un milieu entre tout et rien. Il n'est cependant pas le centre de l'Univers, comme l'affirme l'humanisme, ni une composante d'un ensemble harmonieux, le cosmos, où les ordres du ciel, de la Terre, des dieux et des mortels seraient hiérarchisés, comme le prétendait la philosophie aristotélicienne, démentie par la science moderne. Ainsi, la théologie rationnelle, qui a repris à son compte les schémas conceptuels de la pensée antique, est caduque. Désormais les cieux ne répondent à nos interrogations que par un effrayant silence. La cosmologie n'oriente plus ni la recherche de la vérité ni les jugements moraux.
1 -[Blaise Pascal]
2 -[Blaise Pascal : Raison et religion]
3 -[Blaise Pascal : Misère et grandeur de l'homme]
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